Économique
Retour27 mars 2025
Jean-Philippe Thibault - jpthibault@medialo.ca
Le ras-le-bol des homardiers
CHANDLER

©Gracieuseté
Environ 150 capitaines et aide-pêcheurs étaient réunis mercredi au club de golf de Chandler.
Dans une rare sortie officielle publique – la quatrième de son histoire – le Regroupement des pêcheurs professionnels du sud de la Gaspésie n’a pas été tendre vis-à-vis les récentes décisions prises dans le domaine de la pêche au homard, notamment l’attribution de nouveaux permis exploratoires dans la zone 19, au nord de la région.
En décembre, Pêches et Océans Canada annonçait l'équivalent de 31 nouveaux permis dans cette zone, qui seraient émis graduellement aux Premières Nations et aux pêcheurs commerciaux en difficulté, afin d'évaluer la capacité des stocks à soutenir des captures additionnelles.
Pour le Regroupement des pêcheurs professionnels du sud de la Gaspésie (RPPSG), il s’agit ni plus ni moins qu’une pêche commerciale camouflée servant surtout la réconciliation avec les premiers peuples. L’organisation précise que 60 % des casiers de pêche exploratoire ont été attribués à des Premières Nations. Des crevettiers – dont la ressource s’est effondrée – ont aussi mis la main sur certains de ces permis.
« Des ententes de réconciliation ont été négociées de nation à nation, sans que notre nation des pêcheurs côtiers n’ait été partie prenante des discussions, tempête le directeur général O'Neil Cloutier. On n’a jamais eu l’occasion de pouvoir s’exprimer là-dessus. C’est comme un tabou. Dès qu’on ouvre la bouche, on nous dit que nous sommes racistes. C’était un plan déguisé pour permettre aux bandes autochtones d’avoir de plus grands accès. Ç’a été mal fait depuis le début. » Ce dernier dénonce un manque de transparence et une certaine hypocrisie.
Il craint aussi que l’arrivée de pêcheurs additionnels crée une pression à la hausse sur la ressource, s’inquiétant de sa pérennité et rappelant que certains secteurs dans la baie des Chaleurs ont vu une diminution des prises de 18% à 32%. « Qu’est-ce que ce sera dans le futur? On ne le sait pas ».
Il plaide aussi à l’iniquité puisque les pêcheurs avec permis exploratoire n’ont pas à défrayer les coûts d’un permis commercial, qui s’acquiert à prix fort et qui peut grimper jusqu’à 8 millions de dollars dans certains cas. En Gaspésie, la pêche au homard est pratiquée par 156 entreprises, dont 88% se situent actuellement dans la zone 20. Une petite flottille de 8 entreprises pêche dans la zone 19, là où les nouveaux permis exploratoires ont été émis. « On a donné des permis exploratoires dans une zone commerciale connue, où des pêcheurs y vivent depuis 40 ans, dont certains ont acheté des permis à prix très élevé. Ils seront en compétition et on va leur dire : bonne chance les gars et payez vos permis maintenant! » Le RPPSG avait aussi dénoncé en 2021 - leur troisième sortie de leur histoire - l’ouverture d’une saison de pêche commerciale a ux homards à l’automne pour cinq pêcheurs autochtones et un allochtone de la zone 21B.

©Archives - Ariane Aubert Bonn - Gaspésie Nouvelles
En décembre, Pêches et Océans Canada annonçait l'équivalent de 31 nouveaux permis (7500 casiers).
À boulets rouges
Les homardiers s’étaient déplacés en masse mercredi à Chandler pour exprimer leur mécontentement. Ils étaient environ 150 capitaines et aide-pêcheurs sur place à déplorer également d’avoir été exclus depuis 2021 des comités de cogestion mis en place entre Ottawa et les Premières Nations. Plusieurs aimeraient pouvoir discuter tous ensemble pour éviter les frictions.
« Les processus de consultation auxquels nous pouvons participer ne sont plus que des façades. Nos connaissances scientifiques et de terrain sont ignorées, ajoute O’Neil Cloutier. Depuis 2021, le gouvernement fédéral a accordé une priorité d’accès sans limite à toutes les pêches existantes et futures sur l’ensemble de la Gaspésie et du Golfe du St-Laurent aux Premières Nations de la Gaspésie, ignorant l’importance historique, culturelle et économique de la pêche commerciale individuelle. La survie des pêcheurs individuels commerciaux est aujourd’hui en jeu. »
©Jean-Philippe Thibault - Gaspésie Nouvelles
O’Neil Cloutier, directeur général du Regroupement des pêcheurs professionnels du sud de la Gaspésie.
Le RPPSG n’a par ailleurs pas mâché ses mots envers l’ancienne ministre des Pêches et députée sortante, Diane Lebouthillier, la qualifiant « d’apprentie sorcière », en faisant référence à ces émissions de permis exploratoires. Pour le groupe, il s’agissait essentiellement d’une décision politique, et non scientifique. « En se faisant, elle autorise l’augmentation des prélèvements sur le homard de 112% dans les zones commerciales, de manière aléatoire, sans tenir compte des impacts économiques réels sur les pêcheurs déjà en difficulté et sans savoir si la ressource peut soutenir une telle pression », précise O’Neil Cloutier.
La valeur des débarquements de homards n’a jamais été aussi haute, éclipsant celle du crabe des neiges dans les cinq dernières années. Dans tout le Québec, la valeur était de 232 millions de dollars en 2023, contre 77 millions pour le crabe des neiges et moins de 20 millions pour la crevette nordique. En 2016, ils étaient 153 capitaines-propriétaires dans toute la Gaspésie. Ils sont aujourd’hui 156. Le Regroupement des pêcheurs professionnels du sud de la Gaspésie se défend de vouloir limiter l’accès à la ressource.
« On ne peut pas empêcher une région en développement d’avoir accès à ces ressources. On a proposé d’émettre un certain nombre de permis selon un protocole scientifique, avec des permis expérimentaux en premier pour vérifier l’abondance, puis exploratoire, et finalement la dernière étape après 10 ans, pour émettre des permis permanents. Tout ça a été refusé », conclut O’Neil Cloutier.

©Montage Médialo
Les différentes zones et quelques sous-zones de la pêche au homard.
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