Plein Air
Retour21 février 2023
Jean-Philippe Thibault - jpthibault@medialo.ca
Au coeur du village sur glace
GASPÉ
©Jean-Philippe Thibault - Gaspésie Nouvelles
Cette année, ils sont un peu plus d’une soixantaine à avoir leur abri installé sur cette immensité gelée.
C’est inéluctable. À chaque nouvel hiver, lorsque la glace est assez robuste, un microcosme émerge sur la baie de Gaspé, accueillant des pêcheurs à l’éperlan qui convergent d’un peu partout afin de taquiner le petit poisson dont se délectent les gourmets.
Cette année, ils sont un peu plus d’une soixantaine à avoir leur abri installé sur cette immensité gelée. À l’image d’une ville, certains préfèrent être retranchés dans les zones périphériques alors que d’autres s’agglomèrent dans un quartier de givre, entre amis de longue date. De loin, les automobilistes peuvent admirer l’œuvre des plus créatifs, comme cette installation en forme dé à jouer qui ne manque pas de faire sourire, ou toutes celles aux teintes vives qui amènent un peu de chaleur dans ce paysage froid typiquement gaspésien.
Si le vent balaie constamment la baie et que la température extérieure rappelle plus souvent qu’autrement la nordicité québécoise, la température à l’intérieur de ces camps de fortune est plus qu’enviable. Il est d’ailleurs facile de savoir lesquels sont occupés puisque la plupart ont leur poêle à bois et que leur fumée témoigne d’un territoire occupé.
Des cabanes et des hommes
Plusieurs font de la pêche blanche un rituel annuel, comme Mike Politis, croisé alors qu’il retournait à la maison après une pêche certes peu fructueuse – à peine une quarantaine d’éperlans en ce jeudi ensoleillé, sur une limite de 120 – mais tout de même satisfaisante. Rien pour décourager le vaillant pêcheur sur glace qui tend ses brimbales dans les eaux de Gaspé depuis plus de 40 ans.
« Il y a des années plus fameuses que d’autres c’est certain. Mais j’adore ça. J’adore ce sport et ça fait passer l’hiver plus vite », lance-t-il d’un ton enjoué. Il est aussi de ceux qui se réunissent avec quelques amis l’hiver venu. « On est cinq ou six de notre gang, mais on connaît pas mal tout le monde. Quand ça ne mord pas, on fait un peu de social! »
Jean-Louis Clavet est aussi un mordu de pêche sur glace. Il est sur place depuis le premier jour, le 10 janvier, et pratique son activité depuis une quinzaine d’années. L’homme de Cloridorme a fait ses débuts dans le secteur de Saint-Majorique avant de déménager ses pénates sur la baie de Gaspé.
©Jean-Philippe Thibault - Gaspésie Nouvelles
Jean-Louis Clavet est tout sourire lorsqu’il est dans son lieu de prédilection, une cabane de pêche sur glace.
« Je suis tout seul dans ma cabane, tranquille. Des fois ma blonde vient avec moi, une fois ou deux par semaine. Sinon je passe mes semaines ici, de 7 h du matin à 3 h de l’après-midi. Mords, mords pas, je pêche pareil », explique Jean-Louis Clavet.
Celui-ci est de l’école des minimalistes, sans téléphone cellulaire, sans radio ni rien de ce qui pourrait s’apparenter de près ou de loin à un appareil technologique. Quatre murs bien isolés, un poêle à bois qui crépite, une chaise, une ligne à l’eau, des appâts et quelques victuailles lui suffisent pour être heureux. « Je chante, me promène et je fais le tour des cabanes », résume-t-il avec entrain.
Autour, des amis de Grande-Vallée, Cloridorme, St-Yvon ou Rivière-au-Renard se côtoient. Lui aussi ne se formalise pas outre mesure de la récolte journalière, qui s’élevait à une quinzaine d'éperlans lors du passage du Gaspésie Nouvelles. « Ceux-là vont être pour mes chats, admet-il en riant. Mais c’est surtout le plaisir. Qu’on en prenne 20 ou 120, on a du fun pareil! »
©Jean-Philippe Thibault - Gaspésie Nouvelles
Conrad Boulay loue présentement une dizaine de cabanes. La demande est forte et d’autres s’ajouteront l’an prochain.
Vecteur de tourisme
Pour être exact, ce sont pas véritablement les pénates de Jean-Louis Clavet. S’il a lui-même construit quelques cabanes dans le passé, il préfère aujourd’hui la louer à la journée auprès de Conrad Boulay, qui s’est développé une véritable expertise dans le domaine. L’entrepreneur, retraité comme préposé aux bénéficiaires au Centre d’hébergement Monseigneur-Ross après une carrière de 35 ans, a débuté la location de cabanes de pêche il y a huit ans. L’homme n’est pas du genre à se tourner les pouces à la maison. « J’ai pris ma retraite en décembre. Cet hiver-là a été long et je n’avais rien à faire alors comme projet, je me suis tout simplement dit que j’allais construire une cabane à louer l’année suivante. Ç’a parti comme ça. »
Présentement, Conrad Boulay en loue une dizaine et prévoit encore étendre son offre l’an prochain. Ses cabanes sont facilement identifiables de par leur ton rouge vif. La demande est forte est pratiquement toutes les fins de semaines sont réservées jusqu’à la fin de la saison, vers le 15 mars. Sa formule tout inclus semble plaire, avec les brimbales bien ficelées et prêtes à être utilisées, les trous dans la glace percés à l’avance et le premier feu entamé lorsque les clients arrivent aux petites heures. Sans entrer dans les détails, sa location journalière, qui s’échange contre un billet vert, a la cote.
« La demande est là. J’ai du monde de New Richmond, Newport, Chandler, Marsoui, Sainte-Anne-des-Monts. Ça attire les gens et ça part de loin des fois », se réjouit-il. Dès que les glaces ont une dizaine de pouces d’épaisseur, Conrad Boulay déploie ses cabanes et un monde prend soudainement vie. « Les premiers arrivent, prennent leur spot et tu vois arriver les autres qui se greffent tranquillement autour. Ça fait comme un petit village qui se développe. Certains reviennent à chaque année. Quand il fait beau, les gens sont dehors, jasent et font le tour des cabanes. C’est beau à voir », conclut-il.
Et comme Jean-Louis Clavet, plusieurs y trouvent leur bonheur.
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